Alors que Sarah El Haïry, secrétaire d’Etat chargée de la jeunesse et du service national universel (SNU), conduit depuis plusieurs semaines des consultations sur le SNU et que des annonces d’Emmanuel Macron sur le sujet étaient prévues pour ce début d’année avant d’être reportées, des associations et des députés de l’opposition ont tiré ces jours-ci la sonnette d’alarme. En cause : la généralisation du dispositif qui pourrait être actée, conformément au projet initial du président de la République et malgré les nombreuses réserves notamment au sein du monde associatif.
Selon le syndicat SNES-FSU, les élèves de seconde des départements du Cher, des Hautes-Alpes, des Vosges, du Finistère, de Dordogne et du Var expérimenteraient dès 2024 ce SNU obligatoire, en participant à un séjour de cohésion (première étape du dispositif) sur temps scolaire. "En 2025, cela concernerait 20 départements avant la généralisation totale en 2026, soit 800.000 élèves", ajoute le syndicat dans son communiqué du 26 février 2023, à l’issue d’un échange avec la secrétaire d’État en charge du SNU.
Des voix fermement opposées à la généralisation
Le 28 février, lors des questions au gouvernement, deux députés de la Nupes – Bastien Lachaud (LFI, Sainte-Saint-Denis) et Benjamin Lucas (Écologiste, Yvelines) – ont clamé leur ferme opposition à la généralisation du SNU, qualifiée de "caprice du prince" destiné à "mettre la jeunesse au pas". "Le service national universel, ce n’est pas un simulacre de service militaire, c’est un service civil", a défendu Sarah El Haïry, avant de se fendre ce 2 mars d’un fil sur Twitter pour expliquer ce qu’est "le vrai SNU, loin des fantasmes et des détournements idéologiques". "On consulte sur de vraies hypothèses : oui ou non temps scolaire, oui ou non complémentarité éducative, oui ou non généraliser ou étendre", a-t-elle également précisé devant les députés, laissant entendre que rien n’était encore tranché.
Dans une tribune collective publiée le 18 février sous la houlette de la Ligue des droits de l’homme, une vingtaine d’organisations de jeunesse et d’éducation populaire – dont le Mouvement rural de jeunesse chrétienne (MRJC), le Comité national des associations de jeunesse et d’éducation populaire (Cnajep), la Fédération des centres sociaux et socioculturels de France et l’Union nationale des étudiants de France (Unef) – jugent qu’un SNU généralisé "entrainera des sanctions et produira de la confusion entre obligation scolaire et obligation tendant à l’embrigadement". "Il fragilisera un peu plus les jeunes les plus vulnérables parfois en rupture scolaire ou d’insertion et ne permettant ni objection de conscience, ni exemption", ajoutent les signataires.
Un SNU réduit à la première étape du séjour de cohésion ?
Au-delà des débats sur le bien-fondé ou non d’un tel projet, la généralisation du SNU pose au gouvernement un certain nombre de questions. La première : sous quelle forme le SNU serait-il généralisé ?
Dans son format actuel, le SNU prévoit trois étapes : un séjour de cohésion d’une durée de 12 jours ayant lieu dans un territoire différent du lieu de vie du jeune, une mission d’intérêt général (MIG) de 12 jours ou 84 heures dans l’année suivant le séjour de cohésion (dans une association, un service public, un corps en uniforme, un établissement de santé ou une entreprise solidaire d’utilité sociale agréée, et cela de façon continue ou discontinue) puis un engagement facultatif de trois mois à un an, civique ou militaire, à réaliser avant l’âge de 25 ans.
Selon le syndicat SNES-FSU, "dans la dernière version, la seconde phase du SNU avec les missions d’intérêt général (MIG), disparaîtrait totalement et le volet ‘engagement’ serait travaillé davantage en lien avec le service civique".
Mission d’intérêt général : "un défi de taille"
Chargé de l’évaluation du SNU, l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (Injep) a justement publié le 21 février un rapport sur la base des retours des participants aux séjours de cohésion en 2021. "Un an après leur expérience, 69% des participants de 2021 avaient au moins commencé leur mission d’intérêt général", selon l’étude qualitative de l’Injep. Près de la moitié des jeunes concernés ont réalisé cette MIG au sein d’un corps en uniforme (armée, police, gendarmerie ou pompiers) et 34% dans une association.
Le rapport met en évidence le fait que "cette seconde phase a été compliquée". Plus d’un tiers des jeunes concernés "déclarent avoir trouvé leur MIG en proposant à la structure de leur choix de déposer une mission sur la plateforme SNU", démontrant "une grande autonomie". A l’inverse, les jeunes n’ayant pas réalisé leur MIG mentionnent "d’abord le manque d’information et d’accompagnement qui a pu rapidement [les] décourager", mais également "l’absence d’offre à proximité du domicile" et "des contraintes logistiques, juridiques ou scolaires".
"La couverture de l’ensemble du territoire constitue un défi de taille", résume l’Injep, "les offres de missions [étant] fortement concentrées autour des villes centres, générant un manque de diversité dans l’offre de missions proposées dans les territoires ruraux". Et en corollaire : "un enjeu de mobilité pour les jeunes de ces territoires ruraux et de prise en charge de leurs déplacements".
Sur le développement de cette phase 2 du SNU, la MIG, le rapport de l’Injep fait état d’autres "obstacles ou difficultés partagés par les différents acteurs rencontrés", tels qu’"une image dégradée" du dispositif "ne [favorisant] pas le développement de partenariats". En outre, "faute de ressources dédiées et d’implication réelle, la communauté éducative et les directions des établissements scolaires restent souvent en marge du dispositif", est-il précisé.
"Enfin, le besoin d’accompagnement des participants reste prégnant sur cette seconde phase", ajoutent les auteurs de l’étude. Si des "référents départementaux" ont été déployés au sein des services départementaux à la jeunesse, à l’engagement et aux sports (SDJES), ces référents sont seuls et à temps partiel sur cette mission, ce qui ne facilite par leur "identification par les jeunes" ni leur capacité à accompagner un nombre significatif de jeunes, indique l’Injep.
Généralisation du séjour de cohésion : mixité et incitations au cœur des enjeux
En définitive, l’étape de mission d’intérêt général pose plusieurs défis, à commencer par celui du maillage territorial. Sa mise en œuvre semblant dépendre étroitement à la fois de l’offre de missions présente localement et de la motivation du jeune, il est probable que l’exécutif se concentre – au moins pour le volet obligatoire – sur le séjour de cohésion. Les questions organisationnelles et logistiques ne manquent pas non plus sur cette étape. En 2022, 32.000 jeunes volontaires ont participé à un séjour de cohésion à trois moments de l’année (février, juin et juillet), après un peu moins de 15.000 jeunes en 2021 et un peu moins de 2.000 en 2019.
Un an après leur séjour, les participants de 2021 se déclarent toujours majoritairement satisfaits – "plutôt (37%) ou très satisfaits (57%)" - de leur expérience, selon l’Injep. Les jeunes vantent notamment "la dimension collective et socialisante de l’expérience, (...) la rencontre avec des professionnels et la découverte de secteurs d’activités méconnus qui participent à l’intérêt général". "Les retours plus critiques" ont trait au "cadre parfois trop strict du séjour", à un rythme fatigant et à "des activités qui pour certaines restent trop proches d’un format scolaire et sont jugées peu adaptées à des profils de jeunes ayant des besoins spécifiques", ajoute l’Injep.
Alors que les jeunes volontaires ont plutôt un profil de bon élève, ce rythme peut-il convenir à l’ensemble d’une classe d’âge ? "Dans les entretiens, les jeunes se montrent assez réservés sur la généralisation du SNU, d’une part, parce que le SNU volontaire donne un avantage aux participants au moment de l’orientation dans le supérieur et, d’autre part, parce qu’ils estiment que le climat apaisé et entraînant du séjour serait perturbé par les ‘non-volontaires’", rapporte l’Injep. La mixité reste donc un défi à part entière du SNU. Autre enseignement instructif : la valorisation, soit sur Parcoursup (qui disparaîtrait de fait si toute une classe d’âge était concernée) soit "matérielle" ("financement du code de la route, reconnaissance de l’engagement dans le cadre du Bafa", cite l’Injep) apparaît comme un vrai levier de motivation.
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